Comment l’école privée répond aux besoins d’éducation
Né en 1949 à Alès dans le département du Gard, Philippe Meirieu est depuis longtemps une autorité largement reconnue dans le monde de l’éducation. Après des études universitaires de philosophie et de lettres à Paris, Philippe Meirieu a fait un CAP d’instituteur et n’a jamais cessé d’enseigner, même quand il a occupé des postes très importants dans le monde de l’éducation en France, dont celui de directeur de l’Institut des sciences et pratiques de l’éducation et de la formation de l’université LUMIERE- Lyon 2, par exemple.
« Pédagogie : Des lieux communs aux concepts clés » est un livre de Philippe Meirieu, paru en 2013 et que je viens de relire avec grand intérêt et qui m'inspire quelques réflexions sur le rôle de l'école privée.
Pédagogie : des lieux communs aux concepts clés
Un ouvrage de synthèse
L’approche de Philppe Meirieu apparaît très clairement dès le début du livre : « (…) la transmission de la culture ne peut avoir pour objectif de sélectionner les élites, mais doit permettre à tous d’accéder au plaisir de penser et au pouvoir d’agir. » (p.5)
Ambitieux programme ! Le livre nous donne des pistes pour y parvenir.
Après avoir retracé l’histoire des méthodes actives, nées dans les dernières années du XIXe siècle, et en avoir souligné les forces, mais aussi les limites, Meirieu se penche sur la motivation. Il démontre comment, en « médiateur de la culture », « (…) le pédagogue peut rouvrir le champ du possible, briser le cercle vicieux de l’échec qui démotive : chaque fois qu’il permet à un élève de s’impliquer dans une tâche avec la certitude de ne pas être abandonné, mais aussi de pouvoir la mener à bien et d’en faire vraiment « sa » réussite, assumée et reconnue comme telle… C’est alors que, petit à petit, entre réussite et motivation un lien peut se tisser. » (p.38).
Pour que l’enfant passe du désir de savoir au désir d’apprendre, le maître doit poser les bonnes questions, faire preuve d’une exigence bienveillante et incarner, dans son comportement d’éducateur, le plaisir de chercher et la joie de connaître.
Meirieu se penche ensuite sur l’individualisation et se montre très sévère sur l’évolution de l’école française qui externalise toutes les formes d’aide et de soutien aux élèves : « L’individualisation déconstruit ainsi l’institution en même temps qu’elle délégitime tout travail pédagogique : dans les dispositifs de dérivation, on s’acharne sur des exercices spécialisés, on fait de la rééducation systématique, on pratique l’écoute empathique ou la thérapie comportementale. Mais on ne transmet plus de savoirs dans des collectifs permettant d’en goûter ensemble la saveur. » (p.83).
Meirieu présente alors le concept de pédagogie différenciée qui lui tient particulièrement à cœur. « (…) il faut absolument préférer à la gestion technocratique des différences une pédagogie différenciée, articulant activités de groupe et travail individualisé dans un collectif structurant. » (p.83).
Si une dose d’individualisation de l’enseignement est indispensable (nous n’apprenons en effet pas tous de la même manière), il faut éviter le piège de l’individualisme. L’engagement dans un collectif instituant est plus que jamais nécessaire à la formation sociale et citoyenne du sujet. La variation des méthodes doit permettre à chacun de découvrir de nouveaux horizons. Elle amène en outre l’élève à prendre progressivement en charge ses propres apprentissages, gagnant ainsi en autonomie.
Cette pédagogie différenciée permet de dépasser l’opposition entre « pédagogie de la spontanéité » et « pédagogie des préalables » (enseignement directif traditionnel). Comme l’écrit Meirieu à la page 105 du livre, « La contradiction n’est qu’apparente dès lors qu’on conçoit précisément l’éducation comme une mise en tension permanente de deux exigences : l’exigence de transmission et celle d’appropriation. Car c’est l’adulte qui éduque et enseigne, mais c’est l’enfant qui grandit et apprend. »
Je pense que cette double exigence résume parfaitement l’approche pédagogique innovante de Philippe Meirieu, qui reste à mes yeux à l’écart de diverses dérives toujours possibles.
Plusieurs aspects de cette approche éducative me rappellent un article de blog que j’avais publié il y a quelque temps déjà sur le site de l’Ecole Lémania : Sept vecteurs d’apprentissage
Caractéristiques de l’éducation en école privée
Ayant accompli toute ma carrière à l’Ecole Lémania, je me suis demandé dans quelle mesure les écoles privées parviennent à réaliser les objectifs décrits ci-dessus, elles qui ont souvent aux yeux du public un net aspect élitiste.
Il est vrai que, n’étant pas financées par l’Etat, elles ne sont pas à la portée de tout le monde. Néanmoins, elles disposent souvent de possibilités de prêts ou de bourses, comme en offre la Fondation Paul Du Pasquier à l’Ecole Lémania par exemple, ou de financement indirect par le biais de bons scolaires octroyés aux parents. Cela les rend plus accessibles qu’on ne le croit généralement.
Les écoles privées sont très diverses, comme chacun sait. Elles peuvent être laïques ou religieuses, bilingues ou non, innovatrices ou traditionnelles. Elles peuvent préparer à des diplômes officiels ou décerner leurs propres titres.
Elles me semblent néanmoins, malgré cette grande diversité, avoir quelques points communs :
- Elles ont en général des classes plus petites que les écoles publiques, ce qui facilite l’individualisation de l’enseignement et un suivi plus strict des élèves.
- A de rares exceptions près, elles dispensent un savoir structuré, basé sur les exigences des programmes auxquels elles préparent leurs élèves (maturité suisse, baccalauréat français, baccalauréat international, GCSE, A levels, etc.).
- Elles ont pour objectif principal la réussite de leurs élèves, quel que soit le type d’enseignement dispensé, et non celui de sélectionner les meilleurs ou de répartir les effectifs entre différentes filières de formation existantes.
- A l’exception de rares écoles destinées aux élites, elles accueillent les élèves tels qu’ils sont et s’efforcent de les mener le plus loin possible dans la réalisation de leurs projets. Elles sont ainsi souvent amenées à remotiver des élèves découragés.
Ce dernier point renvoie à une partie de l’annexe du livre de Meirieu intitulée La rupture épistémologique et le « moment Makarenko ».
Anton Makarenko (1888-1939) fut un pédagogue, un travailleur social et un écrivain soviétique, dont l’œuvre a eu un grand retentissement. Il a fondé des « colonies » qui recueillaient des enfants abandonnés au bord des routes par la révolution bolchévique. « Nous cessâmes, de la façon la plus sincère, de nous intéresser aux fautes passées des colons, et le résultat fut si heureux que les colons eux-mêmes les oubliaient rapidement. » Makarenko cité par Meirieu à la p.170.
Commentant ce passage, Meirieu précise que « ce qui est important, en réalité, est moins l’ignorance du passé en elle-même que la décision de n’assigner personne à la reproduction de ce passé. » (p.170).
C’est pour toutes ces raisons que l’école privée est souvent synonyme de nouveau départ pour des élèves en difficulté.
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