Un livre éclairant et toujours d’actualité: « Les Identités meurtrièes » d’Amin Maalouf
Travaillant depuis plus de quarante pour l’Ecole Lémania et Business School Lausanne, j’ai évolué presque toute ma vie dans un milieu très international dans lequel les différentes nationalités et les différentes appartenances culturelles ou religieuses posent peu de problèmes. Elèves et professeurs se côtoient le plus souvent dans une atmosphère de respect mutuel et de nombreuses amitiés naissent par-dessus les frontières.
En revanche, en lisant les journaux ou en regardant la télévision, force est de constater qu’il n’en va pas toujours et partout ainsi et que, malheureusement, l’actualité est souvent faite de guerres, d’attentats et de violences dont l’origine est liée à une identité (nationale ou religieuse, le plus souvent).
La question qui se pose dès lors avec insistance est la suivante : Comment éviter ces tragédies ?
L’ouvrage d’Amin Maalouf « Les Identités meurtrières », publié en 1998, il y a déjà plus de vingt ans, et que je viens de relire, y apporte des réponses subtiles, nourries de l’expérience personnelle de l’auteur.
Né en 1949 à Beyrouth dans une famille de religion melkite, une des églises catholiques orientales, Amin Maalouf a grandi en Egypte et au Liban. Sa mère, dont une partie de la famille était installée à Istanbul, était de religion maronite, autre église catholique orientale, majoritaire au Liban. La langue maternelle de l’écrivain est l’arabe, et c’est dans cette langue qu’il lut pour la première fois les grands classiques de la littérature française. En 1976, il quitte le Liban, dévasté par la guerre civile, pour s’établir définitivement en France, où il travaille comme journaliste et écrivain. Il écrit ses livres en français et obtiendra les plus grands honneurs dans sa patrie d’adoption : Prix Goncourt pour « Le Rocher de Tanios » en 1993 et entrée à l’Académie française en 2011.
Au début du premier chapitre des « Identités meurtrières », Amin Maalouf, à qui les journalistes demandent régulièrement s’il se sent plutôt français ou plutôt libanais, dit répondre invariablement : « L’un et l’autre ! » Il ressent en effet profondément que le réduire à un des termes de cette alternative serait l’amputer d’une partie de lui-même.
Sa langue maternelle arabe lui est commune avec plus d’un milliard d’arabophones dans le monde, tandis que son appartenance à la religion chrétienne crée pour lui un lien avec deux milliards de chrétiens dans le monde. Il partage sa nationalité française avec soixante millions de compatriotes.
La multiplicité de ses appartenances, dont je n’ai mentionné que trois, fait de lui, comme de chacun de nous, un être unique.
Un autre exemple théorique, mais frappant que donne Maalouf est celui d’un homme d’une cinquantaine d’années rencontré à Sarajevo. Selon les époques, il se serait proclamé yougoslave, musulman, bosniaque. Peut-être se proclamera-t-il prochainement européen ?
Le danger est ainsi de réduire un individu à une seule des nombreuses identités qui le caractérisent par une généralisation abusive, le poussant à dire de lui-même «je suis arabe », « je suis français », « je suis juif », « je suis homosexuel », comme s’il n’était que cela.
La leçon que je retiens de ce livre, qui est infiniment plus riche, subtil et complexe que mon bref résumé, est que nous avons tous de nombreuses identités et appartenances qui nous rendent uniques et que le danger de toutes les dérives mentionnées plus haut (nationalisme, fanatisme religieux, racisme) naît toujours quand quelqu’un, poussé par les circonstances ou par le regard unilatéral d’autrui, ne retient plus que l’une des composantes de son identité. C’est alors qu’il peut développer un fanatisme qui le poussera aux pires excès.
De ce point de vue, être exposé à la diversité culturelle qu’on peut rencontrer dans une école internationale aide à intérioriser cette précieuse leçon, ce qui est un vrai privilège.
Je ne peux pour conclure que vous recommander instamment de lire « Les Identités meurtrières ». Vous y trouverez le même plaisir que j’y ai trouvé, grâce à l’alliance de l’intelligence et de l’ouverture d’esprit.
Philippe Du Pasquier
Photo : By Tasnim Aslam – 23, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=37696085
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